Depuis bientôt une semaine, la tension est à son paroxysme entre le président Faye et son Premier ministre, Ousmane Sonko. Cependant, même si ces problèmes semblent naître de divergences autour de la vision portée par la coalition Diomaye Président, les raisons sont bien plus profondes. Les deux hommes ne partageraient plus la même conception de la gestion de l’État. Certaines nominations opérées par le président de la République, ainsi que quelques sorties d’Ousmane Sonko, en témoignent.
Inutile de refaire l’histoire, encore fraîche dans la mémoire des Sénégalais. Entre quatre murs, isolé de sa famille et de ses militants, obligé de renoncer à sa candidature, Ousmane Sonko avait jeté son dévolu sur le secrétaire général de son parti, Bassirou Diomaye Faye. « Ma personne importe peu. L’essentiel, c’est le projet », disait-il pour rassurer ses militants. Suivra le slogan : « Sonko mooy Diomaye, Diomaye mooy Sonko », pour marteler que, même si le navire changeait de capitaine, il conserverait le même cap.
Dix-huit mois plus tard, l’on se rend compte, malheureusement, que l’idéologie n’est plus la même. Le Premier ministre estime qu’il faut gouverner avec ses hommes, ceux qui ont cru au projet et qui se sont sacrifiés pour arriver au sommet. De l’autre côté, le président prône l’ouverture et nomme des pontes de l’ancien régime dans son entourage immédiat. À la présidence, les alliés semblent mieux servis que les « patriotes ». Il y a quelques mois, feu Me Khoureichi Ba avertissait : « Il faut manger le pain avec ceux qui ont aidé à porter la farine », écrivait-il sur sa page Facebook.
La reddition des comptes aux oubliettes !
La justice constitue également un point de divergence au sein du tandem. Même si Pastef avait promis de réconcilier les Sénégalais et la justice, la perception demeure identique. Les victimes des événements tragiques de mars 2021 à 2024 attendent toujours que justice leur soit rendue. Bientôt deux ans de gouvernance, et toujours rien. Même constat pour les personnes citées par les corps de contrôle pour mauvaise gestion des deniers publics. De quoi pousser Sonko à demander aux Sénégalais de mettre la pression sur la justice.
Des attaques répétées contre le Premier ministre
Il faut aussi noter que le Premier ministre est devenu la cible de tous les opposants du régime. Il est attaqué, calomnié, insulté et diffamé à longueur de journée sur les plateaux de télévision, sans qu’aucune sanction appropriée ne soit prise. Même si le président de la République affirmait, lors d’une interview, qu’il voulait d’un Premier ministre « super fort », les actes n’ont pas suivi. Aucune loi n’a été votée pour protéger le chef du gouvernement. Sa puissance semble se limiter à sa charge de travail, et rien de plus.
L’éligibilité de Sonko toujours au-devant de la scène
Certains auraient pensé que le président ferait comme priorité de régler définitivement la question de l’éligibilité du chef de son parti, illégalement écarté de la présidentielle de mars 2024. Mais, comme pour les victimes des événements politiques et la reddition des comptes, aucune volonté manifeste de rétablir Ousmane Sonko dans ses droits n’est encore visible. Même si de nombreux juristes soutiennent qu’à l’heure actuelle l’éligibilité du Premier ministre ne souffre d’aucune contestation, le retour du sujet dans le débat public devrait pousser les autorités à trancher définitivement.
Autant de questions qui prouvent aujourd’hui que le différend entre le président et le Premier ministre dépasse largement la coalition Diomaye Président. L’implication de certains cadres de l’APR dans la gestion de l’État et l’appel, assumé par certains alliés, à une réconciliation sans passer par la justice montrent également que la transformation systémique attendra.
Si la rupture est actée, le projet en prendra un sacré coup. Le président pourrait dérouler une nouvelle vision, différente de celle incarnée par Pastef et pour laquelle des millions de Sénégalais ont porté ce tandem au pouvoir.
Quoi qu’il advienne, rien ne sera réellement nouveau sous ce soleil qui a vu naître Senghor, Mamadou Dia, Abdou Diouf, Habib Thiam, et, plus loin, Thomas Sankara et Blaise Compaoré.