Deux drames sanglants à Guédiawaye et Louga relancent le débat sur l’abandon des malades mentaux au Sénégal. Entre manque de moyens, saturation des structures et silence des autorités, les familles crient leur détresse. Et la société paie le prix fort.
Guédiawaye, quartier Cheikh Wade, ce qui aurait pu être une journée ordinaire s’est transformé en scène d’horreur. En plein jour, un homme souffrant de troubles mentaux a poignardé deux passants il y a quelques jours, semant la panique. Alertée, la police de Wakhinan Nimzatt est intervenue à temps pour maîtriser l’assaillant. Mais au moment de son interpellation, celui-ci a cité d’autres noms, des personnes qu’il comptait tuer. Un effroyable projet qui n’aurait peut-être jamais vu le jour si le malade avait été correctement pris en charge.
D’après nos informations, l’homme avait été interné à la raffinerie de Mbao. Mais faute de moyens, sa famille n’a pu poursuivre le traitement, estimé à 100 000 francs CFA par mois.
Un coût exorbitant pour de nombreux foyers sénégalais. Sans suivi médical, il s’est retrouvé à errer dans les rues, jusqu’à passer à l’acte.
Un double meurtre à Louga
A quelques centaines de kilomètres de Guédiawaye, un autre drame a bouleversé la commune de Geune Sarr (Louga) la semaine dernière. En effet, un homme souffrant de troubles mentaux a provoqué un incident en lançant violemment des pierres sur des voitures en mouvement.
Le dimanche 30 mars 2025, Mme Sylla, assistante au sein de l’Université de Gaston Berger (UGB), a tragiquement perdu la vie après avoir été frappée à la tête par une brique. Transportée à l’hôpital, elle n’a pas survécu à ses blessures. La veille, une autre victime avait également été touchée à la poitrine et est décédée des suites de sa blessure.
Ces événements effroyables ont suscité une vive inquiétude des populations face à celui qu’elles considèrent comme un récidiviste.
Des familles démunies, des autorités absentes
Ces drames, aussi indifférents soient-ils, montrent l’impuissance des familles face à la maladie mentale. Babacar Diop, père d’un jeune malade mental à Dalifort-Foirail, témoigne de sa détresse: “Je fais tout ce que je peux, mais les soins coûtent trop chers. Je suis obligé de choisir entre nourrir ma famille ou soigner mon fils”. Ce témoignage illustre parfaitement la réalité de milliers de familles confrontées à un dilemme déchirant.
Selon M.Diop, il est indispensable de mettre en place des politiques sociales et économiques permettant aux familles de soutenir leurs proches. “Ce n’est pas qu’un problème de santé. Il s’agit d’un enjeu social, politique, et de sécurité publique. Sans une vraie politique d’accompagnement nous allons vers d’autres tragédies”, a-t-il alerté.
Un système abandonné, des voix s’élèvent
Face à ces drames, la question de la prise en charge des malades mentaux revient avec insistance. Joint au téléphone, Ansoumana Dionne, président de l’Association Sénégalaise pour le Suivi et l’Assistance aux Malades Mentaux (ASSAMM), déplore l’absence quasi totale des services psychiatriques dans les structures sanitaires du pays. “Tant que les soins de santé mentale ne seront pas intégrés dans toutes les structures sanitaires, les malades continueront d’être marginalisés et les familles laissées à leur sort” dénonce-t-il.
Il insiste également sur la nécessité de rendre les soins gratuits, car selon lui, beaucoup de familles sont contraintes de choisir la survie et les soins de leurs proches. “La santé mentale est un droit fondamental, pas un luxe”, a-t-il-ajouté.
De surcroît, il a soulevé un problème de stigmatisation liée au vocabulaire. Il fustige l’usage du terme hôpital psychiatrique, qu’il considère comme péjoratif et discriminant. “Ce mot entretient la peur et l’exclusion. Il faut parler de centres de santé mentale intégrés, accessibles et humains”, a-t-il conclu.
La situation actuelle révèle un système à bout de souffle. Le Sénégal ne peut plus se contenter de réagir aux drames. Il doit bâtir une véritable politique de santé mentale, avec des moyens concrets, une approche inclusive, et un changement de regard sur la maladie psychique.