Depuis 2024, l’émigration clandestine reste une tragédie silencieuse pour de nombreuses familles sénégalaises. Malgré les dangers croissants et les efforts du nouveau régime pour limiter les départs, des centaines de jeunes continuent de risquer leur vie pour atteindre l’Europe, ou, rêver de l’Amérique à travers des routes migratoires complexes. Le retour de Donald Trump, avec ses politiques anti-migratoires sévères, ajoute une nouvelle couche d’incertitude.
Dans les quartiers de pêcheurs comme Kayar ou Yarakh, les pirogues ne servent plus seulement à la pêche. « Ici, il n’y a pas de travail. Tout ce qu’on veut, c’est une chance de réussir en Europe », nous confie Badara Thioub, un candidat à l’émigration clandestine ayant échoué à sa tentative.
Les chiffres sont effrayants. En effet, selon l’ONG Caminando Fronteras, plus de 5.000 migrants sont morts en mer entre janvier et mai 2024. Malgré ces pertes, les départs continuent. La marine sénégalaise quant à elle affirme avoir sauvé 4.780 personnes, mais ne peut surveiller chaque embarcation.
Les facteurs d’un exil forcé
Certaines personnes soulèvent la problématique de l’employabilité des jeunes, la pauvreté, le désespoir et la pression sociale. D’aucuns dénoncent aussi le manque d’opportunités durant le régime précédent et interpellent le gouvernement actuel sur leur devoir de trouver des alternatives. « Nos leaders politiques, ont manqué de vision pour la jeunesse. Pendant douze ans, ils ont montré leurs limites. C’est pourquoi nous demandons au Président Bassirou Diomaye et à son gouvernement de trouver des solutions concrètes », interpelle Aminata Biagui, une étudiante qui a perdu son frère parti en Espagne par les pirogues.
La responsabilité de l’Etat
En octobre 2024, l’Etat du Sénégal avait indiqué dans un communiqué, la tragédie de Mbour et a révélé la complexité de la problématique de l’émigration clandestine, entretenue par des réseaux bien organisés, véritables trafiquants d’êtres humains et marchands d’illusions qui doivent être sanctionnés par la Justice à la hauteur de leurs actes. C’est pourquoi, renseigne le communiqué, le Président de la République a exhorté le Premier Ministre à renforcer avec les Ministres compétents, tous les dispositifs préventifs, sécuritaires et coercitifs de lutte contre les départs de migrants à partir du territoire national. Le Chef de l’Etat a souligné, en outre, l’urgence d’une supervision stratégique par le Premier Ministre du dispositif interministériel de lutte contre la migration irrégulière et d’une révision du cadre national de pilotage et de coordination opérationnelle des activités de prévention et de lutte contre la migration irrégulière, en renforçant l’alerte précoce, la collaboration des populations, la sensibilisation et la communication notamment à l’endroit des jeunes pour éviter la perte considérable de vies humaines. Malgré toutes ces mesures, certains jeunes estiment que les résultats tardent à se faire sentir. Ils accusent le régime passé de ne pas investir pour le bien être de la jeunesse ou de détourner de fonds alloués à l’emploi des jeunes.
Le rêve américain en péril
Pour ceux qui rêvent des Etats-Unis et ceux qui ont déjà emprunté la voie de Nicaragua, la situation n’est guère meilleure. En effet, depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a lancé des mesures drastiques pour endiguer l’immigration. Parmi elles, l’expulsion accélérée des sans papiers, la réactivation de la politique « Remain in Mexico » (Restez au Mexique) qui consiste à bloquer les migrants qui passent par le Mexique et les pays frontaliers, et même des propositions pour abolir le droit de sol.
D’après Cheikh Ayla Touré, un migrant Sénégalais ayant transité par l’Amérique centrale avant de se retrouver bloqué au Mexique, « les nouvelles lois de Trump sont inhumaines. Les Etats-Unis ne veulent plus de nous ». Pour d’autres, le Nicaragua ou le Panama servent de points de passage, mais les obstacles pour atteindre les frontières américaines sont désormais quasi insurmontables.
Responsabilités croisées
Ce phénomène soulève des questions profondes sur les responsabilités partagées. L’Etat du Sénégal doit-il faire davantage d’efforts pour offrir des alternatives viables à ses jeunes ? L’Europe et les Etats-Unis peuvent-ils continuer leurs portes sans adresser les causes profondes de la migration ?
Les organisations de la société civile réclament des actions concrètes. « Ce n’est pas seulement la faute de nos jeunes qui partent. C’est un échec collectif. Nos dirigeants doivent être à la fois responsables et exigeants quant au respect des Sénégalais de l’extérieur » , martèle Boubacar Seye, président d’Horizons Sans Frontières, une organisation travaillant dans le domaine des questions migratoires, lors de l’émission Càmbar Hebdo sur Xalaat TV.