Le Sénégal a perdu l’un de ses plus hauts magistrats. Mamadou Badio Camara, président du Conseil constitutionnel, s’est éteint ce jeudi à Dakar, à l’âge de 73 ans. Son nom restera inscrit à jamais dans l’histoire du pays pour avoir tenu la barre, avec fermeté et indépendance, lors des épisodes politiques les plus sensibles de la démocratie sénégalaise, notamment l’élection présidentielle du 24 mars 2024.
C’est en pleine crise institutionnelle que le juge Camara est devenu, aux yeux de nombreux Sénégalais , une figure décisive de la préservation de l’ordre républicain. Face aux tentatives de report de la précédente présidentielle, par Macky Sall, il s’était démarqué de la loi votée par l’Assemblée nationale et le décret présidentiel, soutenant qu’aucune manœuvre ne pouvait retarder une élection constitutionnellement prévue. Une décision qui a stoppé net le projet de l’ancien régime et obligé à l’organisation du scrutin le 24 mars, ouvrant ainsi la voie à la victoire au premier tour de Bassirou Diomaye Faye.
L’acte était symbolique, dans un contexte chargé de tensions. Le Conseil constitutionnel s’est dressé en rempart de la légalité, refusant de céder aux pressions.
Mamadou Badio Camara, en magistrat chevronné, a fait de cette épreuve un plaidoyer pour une justice gardienne des institutions. “Le secret est dans le bulletin de vote”, déclarait-il solennellement lors de l’investiture du président Bassirou Diomaye Faye, soulignant l’importance du suffrage dans un pays démocratique.
Un magistrat de renom
Formé à l’École nationale d’administration et de la magistrature (ENAM), Mamadou Badio Camara avait intégré la magistrature dans les années 1970. Substitut du procureur à Dakar, à Kaolack, et Ziguinchor, puis substitut général à la cour d’appel, il avait gravi un à un les échelons de la justice. Son parcours l’a mené à la Cour de cassation, puis à la Cour suprême, où il fut successivement secrétaire général, président de chambre, procureur général et enfin Premier président, à partir de 2015.
Sur la scène internationale, il fut également sollicité dans les missions en Haïti pour l’OIF, et à la présidence du comité des nations unies sur les disparitions forcées. Ce qui a fait de lui, un expert au service du droit, au-delà de nos frontières.
Parfois contesté, mais respecté
Malgré son expertise, le juge Badio Camara, ne fut pas exempt de critiques. Sa proximité supposée avec le régime de Macky Sall durant ses années à la Cour suprême, avait nourri la méfiance d’une partie de l’opinion. Son silence face à certaines dérives, son refus de déclarer son patrimoine en 2016, ont également alimenté les soupçons. Les défenseurs des droits y voyaient une justice parfois trop timide. Et pourtant, c’est bien lui qui, en 2024, s’est posé en défenseur des principes constitutionnels. Sa posture lors de ce moment historique lui a valu le respect même de certains de ses anciens détracteurs. En écartant toute tentative de glissement du calendrier électoral, il a rappelé la place importante du droit dans la démocratie sénégalaise.
Le dernier discours d’un sage
Le 2 avril 2024, dans l’une de ses ultimes prises de parole publiques, Mamadou Badio Camara s’est adressé au nouveau président de la République dans un responsable. Il lui rappelait les pièges du pouvoir, les dangers de la division et invoquait “la main de Dieu” pour guider le destin du pays à l’aube de l’exploitation de ses ressources naturelles. “Vous êtes désormais le garant de la démocratie”, avait-il lancé à Bassirou Diomaye Faye en guise de passage de témoin.
Sa disparition laisse un vide dans le paysage institutionnel sénégalais. Mais son legs, celui d’un magistrat ayant su, à l’heure décisive, faire primer le droit sur les calculs politiques, restera gravé dans l’histoire du Sénégal.