La Biennale de Dakar, un événement majeur des arts africains contemporains, ne se limite pas aux artistes de renom ou aux grandes expositions internationales. En 2024, pour la première fois, la Biennale a offert une tribune aux artisans locaux, permettant à ceux du marché de Soumbedioune de se faire connaître et de contribuer à l’élan créatif de l’événement. Cette édition a marqué un tournant en intégrant l’artisanat traditionnel sénégalais à la grande fête artistique de la capitale.
Lancée en 1989, la Biennale de Dakar est devenue une plateforme essentielle pour les artistes et les passionnés d’art du monde entier. Tous les deux ans, l’événement attire une foule d’artistes, de conservateurs et de passionnés de culture qui viennent découvrir les créations les plus avant-gardistes et participer aux discussions autour des arts africains. Cependant, cette année, un événement parallèle a permis à des artisans locaux de s’exprimer dans un cadre prestigieux et d’attirer l’attention sur leur savoir-faire.
Le marché de Soumbedioune, un quartier populaire connu pour ses artisans, a ainsi accueilli une exposition spéciale mettant en avant les créations de cinq artisans. Le thème choisi, “l’hippopotame”, a permis de marier tradition et créativité moderne, unissant les différents métiers de l’artisanat sénégalais, de la sculpture à la maroquinerie en passant par la bijouterie.
L’inclusion des artisans locaux dans un événement d’envergure
La Biennale de cette année a été l’occasion pour les artisans de Soumbedioune, comme Ndiouga Dia, maroquinier et leader de la communauté artisanale, de sortir de l’ombre. Bien que ces artisans aient longtemps observé l’événement sans y participer, la proposition de deux designers, Kemi Bassène et Khadim Ndiaye, de les inclure dans l’édition de 2024 a été un moment décisif.
Papise Kanté, sculpteur de 45 ans, a réalisé deux sculptures d’hippopotames en bois, une œuvre qui lui a permis non seulement d’explorer des aspects créatifs de son métier mais aussi de voir son travail reconnu au-delà des frontières locales. “Faire partie de la Biennale est un moment de grande fierté”, a-t-il affirmé. Cette reconnaissance a été d’autant plus importante qu’elle marque un tournant pour l’artisanat local, souvent marginalisé par la production industrielle de masse.
Un pont entre tradition et modernité
Les commissaires de l’exposition ont souhaité créer un pont entre l’artisanat traditionnel africain et le design moderne, contribuant ainsi à un processus de “décolonisation” des arts en Afrique. “Il est normal d’inclure les artisans à la Biennale si nous voulons élargir notre vision de l’art contemporain”, a souligné Kemi Bassène. L’intégration des artisans dans cet événement est également un moyen de mettre en lumière leur rôle essentiel dans la préservation des traditions culturelles tout en les propulsant dans une dynamique moderne de création.
Une visibilité accrue pour les artisans sénégalais
L’impact de cette inclusion va bien au-delà de la Biennale elle-même. Pour les artisans, cela représente une chance unique d’être visibles sur la scène internationale, et peut-être de redonner un souffle à un secteur en difficulté face à la concurrence des produits industriels étrangers. “Nous pouvons produire davantage”, a déclaré Dia. Son rêve est de renforcer la production artisanale locale et de convaincre les Sénégalais de consommer davantage de produits fabriqués à la main plutôt que de recourir à des produits importés.
La Biennale comme miroir des changements politiques et sociaux
Cette édition de la Biennale s’inscrit dans un contexte de profondes transformations politiques et sociales au Sénégal. Après la victoire électorale du parti PASTEF, le pays semble se diriger vers une plus grande autonomie et une transformation structurelle dans plusieurs secteurs, dont celui de la culture. Le thème de cette édition, “Le réveil”, fait écho à cette volonté d’émancipation et à une nouvelle vision de l’Afrique, débarrassée de ses anciennes dépendances.
La participation des artisans à la Biennale reflète ainsi une volonté de rendre hommage aux racines culturelles tout en ouvrant la voie à une modernisation progressive. Elle démontre également l’importance de reconnaître et de soutenir les métiers traditionnels, essentiels à la richesse culturelle du Sénégal.
Après cette première expérience réussie à la Biennale, les artisans de Soumbedioune ont de grands projets. Ndiouga Dia et ses collègues envisagent de collaborer avec des écoles locales pour produire des sacs à dos destinés aux élèves. Avec le soutien de la Biennale et d’initiatives similaires, l’artisanat sénégalais espère une renaissance, capable de redéfinir l’image de l’artisanat traditionnel et de renforcer l’économie locale.