La situation est problématique en Guinée Bissau. Le président sortant Umaru Cissoco Embalo, dont le mandat est censé s’achever le 27 février 2025, semble bien décidé à prolonger son règne au-delà de cette date. La Cour suprême a, de son côté, fixé la fin officielle de son mandat au 4 septembre, mais le président va encore plus loin en affirmant qu’il restera en fonction jusqu’à l’investiture de son successeur, quitte à repousser l’élection présidentielle à octobre ou novembre. Une stratégie qui rappelle tristement d’autres politiques en Afrique, notamment celle du Sénégal en 2012, ou la tentative d’un troisième mandat par Abdoulaye Wade avait enflammé le pays.
L’opposition Bissau-Guinéenne menée par Domingos Simoes Pereira, dénonce une violation de la constitution et réclame le départ du président dès le 27 février, avec la mise en place d’un président par intérim en attendant les élections. Le Front populaire, une coalition de partis et d’organisations de la société civile, s’inquiète du fait qu’aucune date d’élection n’ait encore été fixée et que les préparatifs du scrutin soient au point mort. Il parle de “manœuvres dangereuses” et de “tentative de coup d’Etat constitutionnel”.
L’inquiétude est en effet d’autant plus forte que le climat politique se dégrade en Guinée-Bissau. Des forces de sécurité ont envahi la Cour suprême et l’Assemblée nationale, compromettant leur indépendance. Pour le front populaire, si rien n’est fait, le pays sera plongé dans une crise institutionnelle majeure dès le 28 février, avec une vacance du pouvoir qui pourrait ouvrir la voie à une instabilité durable.
Il est important de rappeler l’histoire récente de l’Afrique de l’ouest, marquée par des contestations de mandats présidentiels prolongés ou de modifications constitutionnelles visant à permettre aux dirigeants de rester au pouvoir au-delà des limites prévues. Les exemples d’Alpha Condé en Guinée Conakry, d’Alassane Ouattara en Cote d’Ivoire, ou encore Faure Gnassingbé au Togo illustrent bien ce phénomène. Dans ces cas, la CEDEAO, n’a pas su ou voulu imposer un respect strict des textes constitutionnels, ce qui a conduit à un affaiblissement de la confiance des peuples envers les institutions régionales. Le cas de la Guinée-Bissau met à nouveau la CEDEAO au pied du mur. Si elle laisse faire Embalo, elle risque d’être perçue comme complice d’un processus de confiscation du pouvoir. A l’inverse, une réaction forte pourrait marquer un tournant et rétablir la crédibilité de l’organisation après les départs du Niger, du Mali et du Burkina Faso.
Cette crise rappelle la tension électorale qu’a connu le Sénégal en 2012. A l’époque, Abdoulaye Wade avait tenté de briguer un troisième mandat, soutenant que la réforme de 2001 ne s’appliquait pas rétroactivement à son premier mandat. Cette tentative de forçage avait déclenché une mobilisation massive de la jeunesse et de l’opposition, réunies au sein du mouvement Y’en a marre.
Embalo joue-t-il la même carte ? Sa posture montre en tout cas qu’il mise sur un passage en force en s’appuyant sur l’argument du vide constitutionnel et en repoussant les échéances électorales. Mais l’histoire a prouvé qu’en Afrique de l’Ouest, les peuples finissent toujours par se dresser contre les dérives autoritaires, souvent avec un coût humain et politique élevé.