Loin des clichés souvent associés à la banlieue dakaroise, un espace singulier fait vibrer l’âme de la culture. Les locaux de l’association Africulturban se présentent comme un espace de résilience et de rêve, reflet d’un métissage culturel qui fait rayonner le département de Pikine bien au-delà de ses frontières.
A cinq cent mètres du garage mécanique, les bruits métalliques des marteaux des tôliers résonnent avec intensité. D’un autre côté, les voix puissantes des apprentis chauffeurs de car retentissent: ”Guédiawaye, Thiaroye,Colobane”. Ces sons familiers tissent la toile sonore de Pikine Icotaf, ou, au premier étage du centre culturel Léopold Sédar Senghor l’association Africulturban se dresse comme un véritable carrefour où tradition et modernité s’entrelacent harmonieusement.
Dès le couloir d’accès, des graffitis et une galerie d’effigie d’illustres artistes accueillent les visiteurs, offrant un aperçu de l’héritage culturel riche et diversifié du Sénégal. Les visages de ces figures emblématiques semblent veiller sur les lieux, témoignant de la continuité entre les générations.
Quelques pas plus loin, l’ambiance devient plus rythmée. Un jeune artiste, casque vissé sur les oreilles, se déplace en cadence, absorbé par un flow de rap qui semble guider chacun de ses mouvements. ”C’est ici que je trouve mon inspiration”, confia-t-il avec un sourire en esquissant quelques pas de danse. De l’autre côté du couloir, un homme d’une quarantaine d’années, vêtu d’un boubou tricolore, est allongé nonchalamment sur un canapé. Un cahier coloré à la main, il griffonne frénétiquement des notes, plongé dans une réflexion créative.
A l’entrée du centre, un petit salon s’anime doucement. Une jeune fille et un jeune homme de teints clairs et d’origine française , tous deux venus pour une mission de formation en cultures urbaines, discutent avec passion. Leurs voix s’élèvent dans un échange intense. “Nous devons faire entendre notre voix”, lance la jeune fille; tandis que son compagnon acquiesce: “Le monde doit savoir ce que notre culture peut offrir”.
A notre arrivée, Patrick un jeune Français arborant un bonnet à motifs africain nous accueille chaleureusement.”Sama Gayi Naka War ( Bonjour mes amis, comment allez vous). Nous salue-t-il avec un sourire éclatant. Sa convivialité nous plonge immédiatement dans l’atmosphère vibrante et respectueuse de ce lieu de créativité. Avant même les premières discussions, une jeune Sénégalaise chargée de la collation, nous sert une tasse de café bien chaude. “Jambaar Moss lén si Café Gui” (Monsieur, goûtez au café). Dit-elle en nous tendant les tasses avec un clin d’œil taquin.
En attendant notre introduction, au bureau du responsable administratif, nous observons un groupe de jeunes dans un studio d’enregistrement. Concentrés, ils se tiennent au micro, peaufinant une mise en bouche. “Chaque mot doit être parfait, chaque note précise” explique l’un d’eux avec sérieux, les yeux rivés sur la table de mixage.
Peu après, nous rencontrons Matador, le fondateur de l’association Africulturban, par ailleurs, membre fondateur du groupe “Wa BMG 44″ (Wa Bokk Menmen Guestu). Ce qui signifie “Tous ensemble pour mieux réfléchir”). Babacar Niang, alias Matador, nous accueille chaleureusement dans son bureau, vêtu d’un bonnet, d’un pantalon et d’une chemise blanche. “Bienvenue dans notre univers de créativité” déclare-t-il avec une voix empreinte de sagesse.
Lors de notre entretien, Matador revient sur la genèse de l’association, créée pour l’inclusion et l’autonomisation des jeunes artistes et acteurs des cultures urbaines. “Nous avons formé et encadré des centaines de talents”, dit-il avec fierté. “Notre mission est de donner une voix à ceux qui n’en ont pas, de faire briller les étoiles de la banlieue”. Il souligne l’importance des cultures urbaines dans la promotion d’un style unique mêlant rap et mbalakh, captivant et regroupant tant les amateurs des deux genres musicaux. “Le métissage culturel est notre force” affirme t-il. “C’est ce qui fait de nous un moteur de développement incontournable”.
Matador évoque également les défis rencontrés par l’association, qui malgré ses 9 ans d’existence, continue de s’imposer. “ Les contraintes budgétaires sont réelles, mais notre détermination est plus forte”, assure t-il.
Il décrit avec passion les efforts déployés pour former des jeunes à l’extérieur, envoyant des missions de mise à niveau et faisant venir des experts d’Europe pour former la jeunesse locale aux métiers de DJ, de mixage, et de l’audiovisuel.”Nos jeunes méritent le meilleur” dit-il avec conviction.
Cependant, Matador lance un appel aux gouvernants soulignant la nécessité d’accorder plus de considération aux acteurs des cultures urbaines. “ Les cultures urbaines sont un pilier de notre société. Nous avons besoin de formations, d’accompagnement, de mobilités et d’événements pour continuer à faire entendre notre voix” conclut-il.
En somme, ce lieu, ou le passé dialogue avec le présent, incarne l’espoir d’une jeunesse prête à embrasser l’avenir tout en honorant ses racines. Chaque rencontre, chaque échange témoigne de la puissance de la créativité collégiale. Au-delà des défis, c’est une volonté inébranlable qui anime ces jeunes, une volonté de transformer la banlieue en un vivier de talents reconnus.